Entretien avec la mairesse
La mairesse France Bélisle répond aux questions de l’éditorialiste Ian Barrett : elle invite les gens de l’ouest de la ville à participer aux consultations
Barrett : Commençons. C’est un fait avéré que Gatineau est confrontée à une crise du logement et qu’il faut densifier. Sur quoi vous basez-vous pour choisir l’emplacement de ces projets domiciliaires, qui sont actuellement concentrés à Aylmer et, plus particulièrement, dans le Plateau? Est-il prévu d’accélérer la densification dans d’autres secteurs de la ville au cours des prochaines années?
Bélisle : Je dirais qu’il y a trois principaux outils qui guident nos décisions. Le premier est le schéma d’aménagement, adopté en 2015, qui établit les lignes directrices pour le développement du territoire. Vient ensuite le plan d’urbanisme, qui est un outil de gestion du territoire, puis les règlements de zonage, qui sont un autre outil de gestion du territoire. La révision de chacun de ces outils a fait l’objet d’un exercice de consultation publique. La densification est prévue dans les outils, et nous voulons faire de la densification dans tous les secteurs de la ville. Donc, bien sûr, on assiste à une densification importante dans le Plateau vu qu’on y trouvait des terrains disponibles, mais je vous ferai remarquer qu’on voit de la densification ailleurs dans la ville, notamment dans les secteurs de Hull et de Gatineau, où beaucoup de projets sont en cours. On la voit aussi de plus en plus à Masson-Angers et à Buckingham. J’inviterais les gens d’Aylmer à se rendre dans d’autres secteurs de la ville afin de constater d’eux-mêmes ce qui s’y fait. Mais c’est vrai, il y a un boom à cause de la croissance démographique et on le voit beaucoup à Aylmer, et donc on travaille avec nos trois outils. En définitive, ce sont le schéma d’aménagement, le plan d’urbanisme et les règlements de zonage qui dictent la façon de densifier. Voilà ce sur quoi nous nous basons. Aussi, nous avons autorisé la densification dans différents secteurs en fonction de l’infrastructure sous-jacente. Ainsi, lorsqu’un projet est adopté, c’est parce que nous avons déterminé que nous étions en mesure d’accueillir tel nombre de logements dans tel secteur.
Barrett : Cela m’amène justement à ma prochaine question. À mesure que nous densifions, comment pouvons-nous garantir que les services communautaires demeurent facilement accessibles à tous les résidents? Les résidents de l’ouest de la ville s’inquiètent en particulier de l’accès aux services de santé, qui relèvent bien entendu de la compétence provinciale. Un exemple de ce besoin croissant est la construction de nombreuses résidences pour personnes âgées à Aylmer. Toutefois, l’accès aux soins de santé n’ira pas en s’améliorant avec le nouvel hôpital qui sera situé un peu plus loin encore dans l’est de Hull. Alors, comment pouvons-nous développer nos quartiers de façon à tenir compte des limites, par exemple, en matière d’accès aux soins de santé? Un autre point important concerne les services de sécurité incendie et de police. Certaines lacunes ont été constatées au niveau de ces services; comment pouvons-nous les corriger? Pour ce qui est des services de police, c’est certainement un gros problème dans le nord d’Aylmer. Que pouvons-nous faire pour améliorer la disponibilité de ces services essentiels?
Bélisle : En ce qui concerne les services de soins de santé, comme il s’agit d’une question de compétence provinciale, il faudrait poser la question au gouvernement provincial. Il faut aussi reconnaître que ce qu’on visait était d’avoir un hôpital situé dans un endroit stratégique pour tous les citoyens. La décision du gouvernement provincial d’ériger le futur hôpital près du casino a été prise en tenant compte des transports en commun et du caractère central du site. Et nous devons aussi le rappeler aux résidents.
C’est un hôpital régional et nous n’avons pas beaucoup parlé de ce qui va se passer avec les hôpitaux existants parce qu’il y a un plan pour cela. Celui de Buckingham aura probablement une nouvelle vocation. Même chose pour celui de Gatineau et pour tous les autres. Tout va changer. Mais il s’agit bien sûr d’une question provinciale. En ce qui concerne les pompiers et les policiers, c’est différent. Et c’est très particulier parce que la province établit des lignes directrices, que nous devons par la suite appliquer sur notre territoire. C’est ce que nous faisons. À Aylmer, nous allons construire une nouvelle caserne de pompiers. Nous avons aussi voté un montant de 16 millions de dollars pour améliorer le point de service de la police à Aylmer.
Nous respectons donc les critères établis par le gouvernement provincial. Sans oublier, bien sûr, le nouveau quartier général de police. J’aimerais le voir plus près de la partie ouest du territoire. Mais comme vous le savez, nous allons tenir des consultations publiques. J’invite les gens de l’ouest de la ville à participer aux consultations et à faire entendre leur voix.
Barrett : Pour approfondir la question des services de soins de santé, ne pourrait-on pas envisager, par exemple, une transition où nous pourrions commencer à installer davantage de communautés de retraités plus près du nouvel hôpital, ne serait-ce que pour réduire le temps de transport des personnes susceptibles d’avoir besoin de services de soins de santé plus souvent?
Bélisle : Je ne peux pas répondre à cette question. Cela ferait partie de la planification du gouvernement du Québec, en fait. Et je pense qu’il en va de même pour la réévaluation qu’il va faire des hôpitaux existants, comme l’hôpital de Hull, par exemple. Que va-t-il se passer avec l’hôpital de Hull? Oui, pour l’instant, le gouvernement dit qu’il servira d’espace transitoire pendant un certain temps, jusqu’à ce que le nouvel hôpital soit construit. Mais qu’arriveratil après?
Barrett : Comme nous l’avons vu avec l’hôpital de Gatineau, ce dont nous avons besoin, ce n’est pas tant d’infrastructures que de personnel. Espérons qu’ils seront en mesure de recruter suffisamment de personnel.
Bélisle : Il y a une comparaison intéressante à faire avec le système d’éducation. Je ne suis pas une experte en la matière, mais dans le secteur de l’éducation, nous constatons que les nouveaux établissements collégiaux et universitaires attirent tant les étudiants que les professeurs, alors peut-être qu’il en va de même en santé. Nous pourrions observer la même chose que lors de la construction de l’hôpital de Gatineau. À l’époque, des spécialistes sont venus de partout au Québec parce qu’ils voulaient travailler dans un nouvel environnement équipé d’une technologie de pointe. J’aurais tendance à dire que si vous comparez cela à ce qu’on voit dans les universités, le nouvel hôpital pourrait s’avérer fort attrayant. Or, il ne s’agit pas seulement d’un hôpital. On parle d’un campus. Je ne me souviens plus exactement, mais je pense qu’il y aura entre sept et dix bâtiments construits autour de l’hôpital. Et ce qu’on veut faire aussi, c’est de pouvoir assurer une présence universitaire, médicale et de santé sur le campus. Je pense que cela contribuera également à accroître le nombre de médecins, d’infirmiers et d’infirmières et de spécialistes ici à Gatineau, où nous avons une pénurie de main-d’œuvre.
Barrett : Quelles sont nos options pour rendre nos quartiers représentatifs de la ville dans son ensemble, en veillant à ce qu’aucun secteur ne soit laissé pour compte sur le plan économique? Si cette question est particulièrement préoccupante dans le Vieux-Hull et dans l’est de la ville, des îlots de pauvreté se révèlent partout à Gatineau.
Bélisle : Il y a deux choses que nous avons faites. Nous avons créé un poste à ID Gatineau, notre service de développement économique, uniquement pour travailler avec les associations de gens d’affaires. Il est difficile d’avoir l’expertise nécessaire pour attirer des entreprises, par exemple, de bien comprendre l’urbanisme pour aller chercher des subventions de développement économique. Nous avons donc chargé une personne à la Ville de travailler avec ces gens. Nous avons également augmenté de 100 000 dollars le budget de toutes nos associations de gens d’affaires pour les aider à diversifier leur économie et leurs activités sur les grandes artères. De plus, nous avons créé un nouveau fonds, appelé le Fonds Gatineau, pour renforcer la vitalité des cœurs urbains, en particulier dans les vieilles rues commerciales des anciennes villes, mais aussi dans tous les secteurs de notre ville. Nous avons augmenté le fonds destiné à soutenir nos associations de quartier. À vrai dire, nous avons investi massivement dans les fonds communautaires.
En tant que mairesse, j’ai deux grandes préoccupations : l’itinérance et l’aide alimentaire. Avec l’inflation généralisée, c’est de plus en plus difficile pour les banques alimentaires, et c’est essentiellement le cas pour tous nos citoyens. On assiste à une explosion du nombre de sans-abri dans le Vieux-Hull. Bien que l’enjeu soit du ressort provincial, il entraîne d’importantes répercussions au niveau municipal. Il y a toutefois des choses qui ont été faites. J’ai notamment demandé une rencontre d’urgence avec le ministre responsable pour discuter de la question de l’itinérance. Aussi, j’ai convaincu mes collègues d’approuver un financement d’urgence de 100 000 dollars pour Moisson Outaouais, et aussi d’aider les autres banques alimentaires.
L’itinérance fait en sorte que les citoyens se sentent moins en sécurité. Je ne dis pas que les sans-abri sont violents avec les gens, mais l’impression de sécurité du citoyen est importante. Nos policiers doivent faire un grand nombre d’interventions au nom de la sécurité. Il y a beaucoup de problèmes de santé mentale. Des gens qui sont seuls chez eux, qui sont en détresse, qui ont des problèmes de pauvreté, d’argent. Il y a des conséquences sur les services municipaux. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour inciter le gouvernement du Québec à agir en vue d’aider les organismes à obtenir plus d’argent. Mais je trouve que ça ne va pas assez vite; je ne pense pas que ce soit suffisant. Quand on a des gens qui n’arrivent pas à manger trois repas par jour, c’est inacceptable.
Barrett : Honnêtement, le coût de la vie est élevé.
Bélisle : Ce sont les appartements, vraiment. Parlons de la crise du logement. Un 4½ se loue 1 275 $ en moyenne. Au Québec, nous figurons parmi les villes où se loger coûte le plus cher. Nous sommes vraiment dans une ville où il semble que nous ayons à composer avec des situations extrêmes.
Barrett : La gouvernance des quartiers est essentielle pour répondre aux besoins locaux, mais pour cela, nous avons besoin de dirigeants communautaires actifs. Aylmer est particulièrement bien organisé à cet égard. D’autres quartiers le sont moins. Le Vieux-Hull, en particulier, continue de perdre des résidents à long terme au profit de quartiers plus à l’est ou à l’ouest. Alors, que peut-on faire pour favoriser l’engagement communautaire et attirer des résidents dans des quartiers comme le Vieux-Hull? Comment ces quartiers peuvent-ils devenir suffisamment attrayants pour que les résidents souhaitent s’y installer à long terme?
Bélisle : Je pense qu’il y a deux objectifs dans la question de la gouvernance. Nous avons mis sur pied un comité de travail en matière de participation citoyenne. Notre politique de participation citoyenne datait de 2004-2005, soit de près de 20 ans, et nous sommes en train de revoir la façon dont nous allons travailler avec les citoyens dans le cadre de nos interactions avec eux. De plus, nous avons créé le Service de l’interaction citoyenne, dont l’une des priorités est de faciliter le dialogue entre la Ville et les citoyens. Le comité compte quelques membres élus, mais aussi des membres citoyens et un membre provenant du Collectif des associations de résidents de Gatineau.
À mon avis, ce que nous pouvons faire pour Hull, c’est de dynamiser le centre-ville, puis de le densifier, ce qu’on fait. La pandémie nous a durement touchés, car jusqu’à ce qu’elle frappe, nous avions un centre-ville vivant où abondaient les activités et les restaurants grâce à la présence des fonctionnaires. Or, sans eux, les commerces peinent à survivre.
S’il y a moins de commerces, les gens sont moins enclins à s’établir aux alentours. Nous essayons donc de remédier à la situation. Nous devons trouver des façons de former une nouvelle masse critique de personnes au centre-ville. La densification, c’est une bonne idée.
Toutefois, personne ne viendra, même si vous offrez de beaux grands condos au centre-ville. Qui voudrait venir s’installer à un endroit où il n’y a pas d’épicerie, pas de pharmacie, pas de boucherie? Non. Nous devons donc travailler sur ce point. Et c’est ce qu’on fait. Mais cela prendra du temps.
Donc toute la question, je dirais, concerne autant la création de commerces que l’arrivée de commerces et l’arrivée de résidents. Ensuite, la densification est très importante, mais elle traîne en longueur. Il faut aussi une vision pour le centre-ville. C’est pourquoi nous avons un plan de relance ainsi qu’une vision pour le centre-ville.
Barrett : Comment éviter que tous les condos ne se retrouvent sur Airbnb?
Bélisle : Le gouvernement a légiféré à ce sujet. Le problème, c’est l’inspection. Comment s’assurer que les règles sont respectées par les hôtes? Pour l’instant, c’est le gouvernement du Québec qui fait les vérifications à ce niveau.
La difficulté réside dans l’inspection. Il existe déjà des règles. Mais comment les faire respecter? C’est le gouvernement du Québec qui s’en charge, et je suis heureuse de voir qu’il y a des gens qui ont fait modifier le bail de leurs locataires afin d’interdire Airbnb.
C’est intéressant parce que nous avons beaucoup d’immeubles locatifs au centre-ville. Vous savez, en raison de tous les partys qui avaient lieu dans les logements, certains propriétaires ont fait modifier les baux des locataires par l’ajout d’une clause précisant qu’Airbnb était interdit. Si vous voulez offrir un logement en location à long terme, soit pour un an, deux ans, ou peu importe, ça va, mais pas à court terme. Il y a donc aussi des propriétaires qui ont pris des mesures, et c’est super. Avec l’annonce faite il y a deux ou trois semaines au sujet d’Airbnb, je pense que nous devons nous donner le temps de voir ce que fera le gouvernement. La clé, c’est l’inspection. Il faut mettre davantage d’inspecteurs sur le terrain.
Airbnb a fait savoir que désormais, toutes les annonces affichées devront avoir un numéro d’enregistrement de la Corporation de l’industrie touristique. Dans le cas contraire, les annonces seront retirées.
Ce sont les autres après, tous les autres en fait.
Parce que dans une crise du logement comme celle que nous vivons présentement, il faut trouver un équilibre. Je ne suis pas contre Airbnb, mais tous les appartements ne peuvent pas devenir Airbnb tout le temps. Surtout pas dans le contexte actuel.
Barrett : Le centre-ville est vide parce que les gens viennent ici et séjournent dans une location à court terme pour aller au centre-ville d’Ottawa, puis ils repartent. Dès lors, comment assurer la viabilité des entreprises locales? Le défi est de taille.