Inflation : les aînés forcés à des choix impossibles
Tashi Farmilo
Avec des revenus bien en deçà du seuil de viabilité, certains aînés se voient contraints de choisir entre des besoins vitaux comme le logement et les médicaments, tandis que les travailleurs d’expérience sont forcés de repousser leur retraite par crainte de voir leur patrimoine s'effondrer sous l'effet de l'inflation. C’est du moins ce que révèle une enquête publiée, aujourd’hui, par l’Association québécoise des retraité(e)s des secteurs public et parapublic.
Les données de l’enquête montrent qu'une personne aînée, ayant pris sa retraite en 2017 à l'âge de 62 ans et recevant la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), le Supplément de revenu garanti (SRG) pour personnes célibataires et le crédit d'impôt pour solidarité, aura un revenu total de 24 715 $ en 2024. Pour être financièrement à l'aise au Québec, une personne seule devrait avoir un revenu annuel d’au moins 30 738 $, selon l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Celle-ci aurait donc besoin d'une augmentation de 24,38 %, soit 6 023 $ de plus, pour atteindre ce revenu viable.
« Il est vraiment regrettable qu'une personne aînée se retrouve dans la situation où elle doit choisir entre payer son loyer ou acheter ses médicaments, surtout en période d'inflation. Même ceux de 65 ans et plus qui ont droit aux aides gouvernementales se voient obligés de limiter leur alimentation pour boucler leurs fins de mois. C'est une réalité frappante », souligne le président provincial de l’AQRP, Paul-René Roy.
Ajoutant une perspective régionale, Diane Wheatley, coordonnatrice régionale du programme pour aînés au Centre de ressources Connexions à Gatineau, a mis l’accent sur les défis propres à la région. « De nombreuses personnes aînées de notre communauté peinent à s’en sortir non seulement en raison de l’augmentation du coût des biens essentiels, mais aussi en raison des tâches quotidiennes », explique-t-elle. « Par exemple, un simple changement d’ampoule peut devenir un problème important lorsqu’il est difficile de trouver de l’aide à prix abordable. Le coût des services augmente et de nombreuses personnes aînées à revenu fixe ont de la difficulté à entretenir leur maison ».
Mme Wheatley a également noté les difficultés croissantes d'accès à des logements abordables dans la région de l'Outaouais. « La liste d'attente pour obtenir un logement subventionné est longue, et de nombreuses personnes aînées se retrouvent dans une situation précaire, devant choisir entre payer le loyer et couvrir d'autres dépenses essentielles », dit-elle. « Le loyer moyen pour un appartement d'une chambre à coucher à Gatineau tourne actuellement autour de 1 700 $ par mois, alors ces pressions financières ne font qu'augmenter ».
La situation des travailleurs d'expérience n'est pas rose non plus. L'enquête de l'AQRP révèle que ceux qui prennent leur retraite à 65 ans, surtout s'ils ont épargné toute leur vie dans leur REER sans avoir de régime de retraite au travail, voient la valeur de leur patrimoine épuisé à 0 $ à l’âge de 92 ans, dans un scénario réaliste avec l’inflation. Cela signifie que si une personne continue de travailler de 65 à 69 ans, son patrimoine reste au-dessus d’un scénario sans travail jusqu'à environ 83 ans. Cependant, à long terme, son patrimoine diminue également pour atteindre 0 $ à l’âge de 92 ans.
« L'inflation agit comme un gouffre sans fond, forçant également les travailleurs d'expérience à retarder leur départ définitif du marché du travail lorsque la valeur de leur patrimoine diminue, que ce soit à cause d'une inflation élevée réduisant les rendements réels ou en raison de marchés financiers en baisse. Il est inhumain qu'une personne soit privée de la liberté de prendre sa retraite par crainte de ne pas survivre jusqu'à l'âge de 92 ans », se désole Paul-René Roy.
L’AQRP demande au ministre des Finances du Québec, Éric Girard, d’indexer les régimes de retraite en fonction de l’inflation. Plus l’inflation est élevée, moins les rentes non indexées ou partiellement indexées permettent aux rentiers d’acheter des biens ou des services. L’étude de l’AQRP révèle que l’indexation des rentes des régimes de retraite représente une protection importante contre la perte de revenu des retraités lorsqu’une longue période est étudiée, même si le pourcentage d’augmentation des prix peut sembler faible.
M. Roy et Mme Wheatley insistent tous deux sur l'importance de l'intervention gouvernementale. M. Roy estime que le gouvernement du Québec doit cesser de décréter des lois spéciales qui diminuent ou abolissent l’indexation des régimes, car de telles mesures fragilisent les régimes de retraite et posent une menace évidente à la sécurité du revenu des personnes aînées. Sans une indexation adéquate, l'augmentation du coût de la vie continuera d’éroder leur niveau de vie. En conséquence, il est essentiel pour les décideurs politiques de s'attaquer à ce problème afin de préserver le bien-être financier de la population vieillissante du Québec.
Légende photo : L’inflation croissante force les personnes aînées du Québec à choisir entre des besoins essentiels comme payer le loyer ou se procurer leurs médicaments, tandis que les travailleurs expérimentés sont contraints de retarder leur retraite par crainte d’instabilité financière.
Crédit photo : Tashi Farmilo
Trad. : MET