Démission de la première femme mairesse de Gatineau : quelles leçons le Québec doit-il tirer?
Grace Richards et Taylor Clark
France Bélisle, la première femme à avoir accédé à la mairie de Gatineau, avait fait les manchettes lors de son élection en 2021, puis de nouveau en février dernier lorsqu’elle a annoncé sa démission à 20 mois de la fin de son mandat.
Loin d’être l’exception, le départ de Mme Bélisle est venu s’ajouter à celui de beaucoup d’autres élus de municipalités québécoises qui ont choisi de partir, momentanément ou définitivement – une situation qui touche davantage les femmes.
Depuis les dernières élections municipales au Québec, près de 800 des 8 000 élus municipaux ont quitté leur poste, une situation inédite.
Dans ce contexte, la mairesse suppléante Isabelle N. Miron et les candidates à la mairie Maude Marquis-Bissonnette et Olive Kamanyana ont livré leurs réflexions quant à des pistes d’action pour favoriser la rétention des femmes au sein de l’administration municipale.
Mme Miron n'a jamais eu l'intention de faire de la politique. Alors qu'elle était étudiante au baccalauréat en sciences politiques, elle a été frappée par la faible proportion de femmes candidates pour les partis politiques et par les compromis consentis par les femmes qui se lançaient en politique municipale.
« Je suis venue en Outaouais afin de travailler pour une députée sur la colline du Parlement, qui a été l’une des premières femmes de son parti à être élue. Elle avait donc une vision différente, je dirais. Elle croyait vraiment qu’en tant que femme, il fallait se faire accepter des hommes. J’ai pensé que cela ne pouvait pas être vrai. Il n’y avait aucune raison valable pour qu’il en soit ainsi. Je me suis alors dit que des changements s’imposaient ».
Mais y a-t-il eu des changements? Le dernier rapport de la Fédération québécoise des municipalités (FMQ) sur les préoccupations des élus, publié en mars, permet de constater que malgré certains progrès depuis la parution du premier rapport en 2017, les élus municipaux continuent de vivre des situations préoccupantes dans le cadre de leurs fonctions. Le rapport de 2017 présentait des données différenciées selon le genre sur les situations problématiques vécues par les élus municipaux durant leur mandat.
Si les données nous permettent de constater que, parmi les personnes élues, l’écart entre les hommes et les femmes s’est réduit sur certains enjeux depuis 2017, ce ne serait pas nécessairement en raison d’une amélioration de la situation, mais vraisemblablement parce que les hommes percevraient davantage de difficultés qu’auparavant.
Maude Marquis-Bissonnette, ancienne adversaire de France Bélisle aux élections de 2021 et actuelle candidate à la chefferie d'Action Gatineau, estime que l’absence de modèles féminins dans l’histoire politique du Québec est en partie responsable des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes qui entrent en politique.
« On voit encore peu de mairesses et de politiciennes. Et on en voit encore moins dans les lieux de pouvoir. Ce manque de représentation politique fait en sorte qu’il est certainement plus difficile pour les femmes, lorsqu'elles brisent le plafond de verre, d’accéder aux diverses sphères décisionnelles ».
Le manque de modèles féminins dans le paysage politique québécois a également été reconnu comme un problème par Olive Kamanyana, conseillère municipale et candidate indépendante à la mairie. Elle a expliqué que pour se doter d’un environnement politique plus diversifié, il faut promouvoir une plus grande participation des femmes à la vie politique et fournir l’accompagnement et le soutien nécessaires aux candidates.
« Tout d'abord, en tant que femme, vous devez vous imposer, démontrer que vous avez les capacités, que vous avez les compétences. Vous devez le prouver. Et en tant que personne racisée ou autochtone, il faut le démontrer encore plus, beaucoup plus, beaucoup plus que les hommes, en fait, parce que dans notre monde politique, il est évident qu'un homme va se présenter; il ne sera pas beaucoup questionné », d’affirmer Mme Kamanyana.
« C’est un fait que les femmes ont besoin d’être soutenues pour entrer pleinement sur le marché du travail. C’est-à-dire qu’on ne doit pas seulement les trouver dans les bureaux à occuper des postes de nature administrative, mais on doit aussi les trouver dans des postes de gouvernance… Je suis une femme, mais aussi une femme noire. Ce n’est donc pas rien, c’est très important que je me présente en politique, que je pose ma candidature aux postes de direction que j’ai décrits plus tôt ».
Dans le cadre d’une activité de réflexion sur la parité organisée par le Groupe Femmes, Politique et Démocratie, en collaboration avec AGIR Outaouais, une vingtaine de citoyennes, aspirantes candidates, élues et ex-élues de la région de l’Outaouais ont identifié des pistes d’action pour atteindre la parité, mais aussi pour faciliter le recrutement et la rétention des femmes au sein des conseils municipaux. Selon la progression enregistrée aux quatre ans, la parité ne serait atteinte que vers 2050.
Pour atteindre la parité dans les conseils municipaux avant 2050, les participantes ont souligné l’importance de rendre obligatoire la constitution de conseils municipaux paritaires. Pour y arriver, il s’agirait de réserver la moitié des postes de conseillers pour les femmes, « ce qui enverrait un puissant message qu’elles ont leur place au sein de la gouvernance de leur municipalité ».
Si l'avenir du paysage politique québécois est incertain, la nécessité d'assurer la participation des femmes à cet avenir est claire.
Trad. : MET